mercredi 23 juin 2010

Part - II - du texte sans titre

Mes mains moites agrippaient la feuille blanche comme une menace de mort ou une lettre d’adieu. Les exemples sont mauvais parce qu’aucun des deux ne m’aurait fait trembler autant. Comme un drogué.
Je pris mon téléphone dans une main et mon courage dans l’autre, et je fixai les résultats des analyses que j’avais réussi à poser sur la table. Pourvu qu’elle ne réponde pas.
Mais elle décrocha au bout de deux sonneries :
- Joey ? what’s going on ?
Me répondit-elle avec son anglais boiteux et son accent mitigé. C’était la deuxième fois que je l’appelais depuis qu’on s’est rencontrés dans ce bar à Casablanca. Elle dansait comme une pute ce soir là. Elle m’avait fait penser à mon ex Jenny que j’ai aimé, quand j’en étais capable. Jenny était strip-teaseuse dans un cabaret de Vancouver. Et Maria lui ressemblait. Sauf qu’elle était plus petite, brune, et plus gracieuse. Une certaine classe mêlée à de la vulgarité.
- I have something to tell you. J’ai fait mon test annuel de dépistage d’MST et il s’avère que j’ai choppé une saleté. Et puisque tu es l’une des dernières personnes that I’ve been stupid with, il fallait que je te le dise...
Je lui dis ça d’une traite. J’avais soulagé ma conscience. Je me sentis bien l’espace de cinq secondes. Le temps qu’elle comprenne et réponde. Elle ne parle anglais que quand elle est saoule. Et à midi, elle doit être sobre comme un imam.
- Ok.
- Ok ?
- Ok.
- You won’t ask me what is it exactly?
Je respirais profondément, moi qui me préparais à faire face à une de ses colères, qu’elle s’inquiète, qu’elle pleure, que je la console. Mais rien. Juste « OK ».
Elle m’énerve un peu cette fille.
- Well, what is it exactly?
- Chlamidiae. You must see a doctor.
- Ok. I’ll do it as soon as I can. You should tell Layla and Imane.
- Give me Layla’s number.
Elle me donna le numéro, puis éclata de rire. Et bien entendu ne m’expliqua pas la partie drôle de l’histoire.
Le pire c’est quand elle débarqua chez moi une heure plus tard pour « voir Maya ».
Son jean lui moulait les fesses pour disparaître dans ses bottes de cowboy. Son polo largement déboutonné baillait sur cette poitrine dont j’aimais voir l’ombre sur le mur quand je la prenais en levrette. J’aperçus même un bout de téton quand elle se baissa pour déposer son odinateur par terre.
- So, when are we going to die, Joey?
- Before next christmas.
- Je ne fête pas noël, ça ne changera rien pour moi.
Sur quoi, elle rit à gorge déployée. Ses blagues ne faisaient rire qu’elle, et une poignée de lourdauds qui s’agglutinent autour d’elle dans les bars pour essayer de rentrer avec elle. Souvent en vain. D’ailleurs je ne saisis toujours pas ce qu’elle appelle humour. Je ne sais pas si elle en a. Des fois j’ai l’impression qu’elle rit au hasard.
Elle enchaîna :

- I told you, get a condom instead of a beer.
Le plus simplement du monde. Pas alarmée pour un sou. Comme si elle me disait qu’il n’y avait plus de papier toilette, en plissant à peine les paupières pour protéger ses yeux du soleil qui filtrait à travers la porte de la terrasse. Elle sourit. Avec tendresse. Et alluma une marlboro light.
Je devais faire encore ma tête de dépité chronique, désespéré et désespérant. Elle m’a toujours reproché d’être trop cynique en société, et de ne pas pouvoir m’émouvoir ou m’amuser de choses simples. Je croyais que c’était une qualité de ne pas être naïf. Je dois me tromper quelque part.
Mais voilà. Du haut de mes 40ans, ma vie n’a pas été facile. Une enfant de 24ans, actrice de son état, difficile et lunatique à soutenir en son début de carrière, une femme de ménage à payer et à cacher quand elle fugue de chez elle, un chat hystérique à nourrir. No money. Ma carrière de cinéaste qui ne commence pas. J’ai le droit d’être dépité, cynique et désespéré.
- Toujours aussi exaspérant ! dit-elle, en souriant avec tendresse.
- Definitely.
Elle me caressa les cheveux d’une main, en tirant sur sa cigarette.
- Anyway, thank you for sharing ! Dit-elle en tirant sur sa clope encore.
Je lui criai au visage:
- We’re not sure I’m patient zero!
- I made a joke… Me dit-elle lentement en me regardant dans les yeux. Puis elle me cracha sa fumée sur le visage.
Je me suis senti ridicule. Je me suis emporté pour rien.
- Ah ! of course…
Elle fit un pas comme pour aller dans la chambre, retrouver Maya, puis revint :
- So we’re not going to have sex anymore?
- No ! I told you 2 weeks ago. Greg is my friend.
- You were his friend too when I met him first time.
Elle avait raison. On était ensemble à l’Irish pub quand mes meilleurs potes qu’elle connaissait de loin se sont aprochés de notre table. Je suis parti discuter deux minutes avec un mec, je reviens, elle roulait des pelles à mon meilleur ami. Greg. Qui savait qu’on était ensemble. Rien qu’en y pensant, ça me coupe l’appétit.
- De toute façon, chlamydia m’a complètement coupé l’appétit.
- J’ai vu que t’es devenu accro à facebook et autres réseaux sociaux.
- Faut bien s’occuper…
- Ridicule. Je compte bien continuer à baiser, moi. C’est mes seuls moments d’abandon. Plutôt mourir que de m’abstenir. Je me suis déjà abstenue pendant trop longtemps.
Elle se rebaissa pour prendre son pc. Ramassa sa veste sur le canapé. Elle partait. Sans voir Maya.
- Can I ask you something before you leave?
- …
- Can you tell me That you like being with me… a last time?
Elle était surprise. Un peu. Sans plus.
- It won’t be a lie...
- So, don’t.
- Then, have a good day.
- You too…
Sur quoi elle écrasa sa clope et claqua la porte derrière elle. J’espère qu’elle reviendra.